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L’impératif de protection de l’enfant justifie sa séparation ? - Protection de l'enfance - Educh.ch

L’impératif de protection de l’enfant justifie sa séparation ?

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L’impératif de protection de l’enfant justifie sa séparation ?

Numéro 669, 12 juin 2003

Les professionnels entre protection de l’enfant et droit des familles

Il arrive parfois que l’impératif de protection de l’enfant justifie sa séparation avec un milieu naturel dangereux pour lui. La conviction en une présomption de compétence chez les familles et la montée de leurs droits, qui se sont imposées depuis quelques années, ont transformé le débat sur le maintien des liens en controverse brûlante. Les associations qui proposent chaque année des colloques et journées d’étude en ont fait, ces derniers mois, leur thème privilégié. Après « Mais où est passé l’enfant ? » du Grape (janvier 2003 à Toulouse) et le « Parole des usagers, action des professionnels, un rapport dialectique » du CNAEMO (mars 2003 à La Rochelle), c’était au tour de l’association Anthéa, les 26 et 27 mai à Marseille [2].
C’est Bernard Azema, substitut général auprès de la cour d’Appel de Grenoble qui, au cours de son intervention sur le nouveau dispositif contradictoire inauguré par le décret de mars 2002 [3], a donné le raccourci le plus saisissant concernant l’évolution de la place des parents dans la procédure d’assistance éducative. Prenant son premier poste de magistrat comme juge des enfants en 1980, il convoque les jeunes confiés à la DASS de l’époque qui n’ont pas vu leur situation révisée depuis 15 ans [4]. L’administration réussira tant bien que mal à lui en présenter quelques-uns, d’autres étant, entre temps, décédés (sans que le cabinet du magistrat n’en ait été d’aucune manière informé). Pour un mineur, ce ne sera pas possible : sa famille d’accueil ayant déménagé sans laisser d’adresse ! Vingt ans ont passé : en 2001, une mère pour qui Bernard Azema avait fait une demande d’expertise psychiatrique, portera plainte devant l’ordre des médecins pour violation du secret médical (le psychiatre ayant révélé dans ses conclusions les troubles dont elle souffrait). Quel chemin parcouru ! Serions-nous tombés de Charybde en Scylla, tant les familles autrefois méprisées sont devenues victimes ? C’est ce que pourrait nous faire croire l’intervention de Catherine Cadet, présidente du « Fil d’Ariane » [5], association regroupant 400 familles d’enfants placés. Avec une maladresse consommée, cette dame est venue fustiger les travailleurs sociaux accusés tour à tour d’enlever les enfants à la sortie des écoles, puis de les soudoyer en leur payant des vêtements de marque ou des séjours de vacances onéreux, mais aussi en leur donnant de l’argent de poche (toutes choses que les parents ne peuvent pas se permettre), de laisser dans l’ignorance ces mêmes parents de l’orientation scolaire ou de la santé de leurs enfants, de reporter des visites, de ne pas autoriser librement les communications téléphoniques etc. Généralisation et stigmatisation hâtives risquent parfois de faire perdre toute crédibilité. Que les professionnels soient parfois en situation de toute-puissance est indéniable… mais il leur arrive aussi de se montrer respectueux des familles naturelles. Qu’ils commettent parfois des erreurs ou des oublis est tout aussi vrai… mais ils peuvent aussi agir avec compétence. Ce que Catherine Cadet a mis en évidence, c’est le besoin d’une instance de médiation qui garantirait la place de chacun et veillerait à corriger les abus de pouvoir, de part et d’autre. Le service socio-éducatif en charge du suivi de l’enfant n’est pas le mieux placé pour jouer ce rôle. Mais, une association de parents comme « Le Fil d’Ariane » qui montre si peu de capacité à prendre la distance et le recul nécessaires face aux plaintes qu’elle recueille, ne semble pas forcément mieux placée non plus. Car derrière les récriminations des familles, s’il y a d’authentiques et légitimes revendications, il faut aussi y voir l’expression de la souffrance de la séparation et parfois la démonstration désespérée qu’à défaut de pouvoir exercer une quelconque parentalité, on peut au moins protester. Protection de l’enfant et droits des parents se trouvent donc à nouveau opposés, renvoyant inévitablement à la question de la place des familles dans l’éducation de l’enfant.

Sabine Domenichino, pédopsychiatre, a rappelé la fonction essentielle des mécanismes d’attachement et le rôle premier joué par l’enfant dans leur élaboration. Un bébé ne se nourrit pas seulement de lait. Il doit aussi être baigné de relations. Et il possède une capacité fantastique à agir sur son environnement et le solliciter pour établir ces liens. En effet, il ne se contente pas seulement de crier pour obtenir de l’adulte qu’il l’alimente. Il sait aussi par ses sourires, sa recherche de contact visuel, ses mimiques, ses babilles ou encore son sens de l’imitation provoquer l’accordage qui lui est tant nécessaire. Ces interactions précoces participent à la construction de son sentiment de sécurité intérieure nécessaire à son humanisation et à l’élaboration de sa personnalité. Les personnes qui semblent naturellement les plus à même d’être ses interlocuteurs, dans ce processus, sont ses parents. Si c’est effectivement le cas dans l’immense majorité des situations, le statut de géniteur ne prédispose toutefois pas d’emblée à devenir parents, affirme Pierre Manil, psychologue clinicien. Cela se vérifie d’abord historiquement : l’image du couple se consacrant à l’éducation de son enfant est terriblement moderne. Longtemps, le petit d’homme sera pris en charge par toute la communauté villageoise, venant ainsi compenser un père tué à la guerre ou une mère morte en couche sans oublier que l’un ou l’autre pouvait avoir disparu dans la dernière épidémie. C’est aussi vrai biologiquement. L’instinct parental est une invention tout aussi fausse que l’instinct maternel. Si l’on doit cette conviction d’une prédétermination sacrée à la Sainte Famille, Pierre Manil rappellera avec un humour féroce que cette mère adolescente, mise enceinte par quelqu’un qui pourrait être son père, avec qui elle s’enfuit, pour aller accoucher dans un taudis, aurait attiré les foudres de la DASS, si elle avait existé ! Qu’il est difficile de s’extirper de l’idéologie familialiste qui fait de la famille biologique le seul creuset apte à faire grandir et s’épanouir l’enfant. Son rôle s’avère, dans la plupart des cas, bienfaisant. Mais il peut tout autant être destructeur : Chantal Parret, psychanalyste décrira le mécanisme de ces familles fusionnelles qui identifient la séparation à l’anéantissement. Le paradoxe y enferme alors l’enfant dans une dynamique destructrice : vivre ensemble nous tue, mais nous séparer est mortel.

Quand les liens dysfonctionnent, tout un travail est parfois possible pour tenter de les régénérer. C’est le cas de l’action menée par le centre d’accueil familial Cap Ferret, à Roubaix. Cette structure propose 24 logements à des femmes seules ou des couples, les unes et les autres étant accompagnés de leur (s) enfant (s). Tout y est mis en œuvre pour favoriser la restructuration de la vie familiale et l’insertion des parents. Autre illustration nous venant de Belgique : Proximam [lire l’article…]. Mais il faut arrêter l’acharnement à vouloir à tout prix que la relation se rétablisse entre parents et enfants, quand cela ne s’avère pas possible, explique Francis Mouhot, psychologue à l’aide sociale à l’enfance. Une telle obstination n’aboutit qu’à sacrifier la jeune génération, en prenant le risque qu’elle ne reproduise ce qu’elle a vécu. Et de relater une étude qu’il a menée sur deux cohortes d’enfants placés. Il a pu ainsi mesurer les effets, à l’âge adulte, d’un placement intervenu avant et après l’âge d’un an. Les conséquences en matière de santé psychique, d’intégration et d’équilibre personnel montrent un écart allant de 3 à 5 fois plus de situations difficiles au-delà de cet âge. La valse hésitation des services socio-judiciaires pour prendre une décision de séparation peut donc avoir des conséquences catastrophiques. Retrait tardif, retour prématuré, maintien à tout prix des liens ont alors des résultats dévastateurs. Il faut donc oser affirmer qu’il peut y avoir un échec dans les relations parents / enfants, rajoute Catherine Rigaud, pédopsychiatre. Il ne s’agit pas, pour autant, d’imposer une rupture brutale qui serait synonyme d’échec et de cassure, mais d’aménager une séparation qui préservera, avant tout, l’intérêt de l’enfant. C’est l’objectif des visites médiatisées qu’elle mène dans le cadre de l’hôpital Bellevue à Saint-Etienne. Le but poursuivi est bien là, d’aménager des séances regroupant parents, enfants et intervenants médico-sociaux, afin de recréer un vécu de lien primaire suffisamment bon pour pouvoir rendre possible le travail de séparation physique et psychique : réunir pour permettre à l’enfant de s’éloigner, sans sombrer.
Un soutien et une aide aux liens familiaux s’appliquent avec succès dans des milliers de situations. Ils doivent être poursuivis et approfondis quand ils permettent de retisser une relation structurante. Mais, quand les rencontres deviennent vides de sens et jouent un rôle destructeur, quand ils ne répondent plus à de vrais besoins mais surtout à la seule idéologie des intervenants, c’est l’équilibre et l’avenir de l’enfant qui sont compromis. Il faut alors poser la question des limites de la souffrance qu’on lui impose. Certes, il est parfois bien difficile de prendre une telle décision, tant elle s’oppose à l’air du temps. Mais, dès lors que la déficience des compétences parentales a pu être diagnostiquée comme pathologique, la distanciation des liens doit s’imposer, les droits des parents dussent-ils en souffrir.

Jacques Trémintin

[1] Producteur de vidéo pour les professionnels de l’Enfance et de la Famille.

[2] « Entre protection de l’enfant et droit des familles, rupture ou maintien des liens » 26 et 27 mai 2003, Marseille. Les actes du colloque peuvent être commandés à l’association Anthéa - 7 place aux herbes - BP 219 - 83006 Draguignan Cedex. mail : anthea@club-internet.fr

[3] Ce décret permet aux familles d’avoir accès directement à la lecture du dossier d’assistance éducative, ce qui ne leur était possible jusque-là que par l’intermédiaire de leur avocat.

[4] C’est par une loi de 1984 que l’administration sera tenue de signer avec les parents un contrat dit de recueil temporaire ou d’accueil provisoire d’une validité maximale d’un an (renouvelable). En 1986, une autre loi limitera la durée maximale d’une mesure de placement judiciaire à deux ans (elle aussi renouvelable). Cette nouvelle réglementation mit un terme aux accueils sans limites et instaura la révision périodique de ces mesures.

[5] Le Fil d’Ariane - 3 allée des Aubépines - 93600 Aulnay-sous-Bois. mail : lefildariane93@univfcomte.fr

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