Difficultés d'apprentissage et enfants surdoués
Enfants intellectuellement précoces
Les mystères de l’apprentissage
Malgré leur QI élevé, les enfants intellectuellement précoces souffrent parfois de difficultés d’apprentissage. Mais quelles sont-elles ? D’une façon plus générale, qu’est-ce que la capacité à penser ? Y a-t-il une seule façon d’accéder au sens ? Comment notre cerveau parvient-il à s’adapter à la reconnaissance visuelle des mots ? Des réponses ont été suggérées lors du congrès de l’Association française pour les enfants précoces.
UN PEU PLUS de 200 000 élèves âgés de 6 à 16 ans sont des enfants intellectuellement précoces (EIP), encore dits doués. Contrairement aux idées reçues, ces enfants, dont les besoins sont spécifiques, sont fréquemment en butte à des difficultés d’apprentissage qui viennent, pour la première fois, d’être reconnues dans un texte officiel suivi de deux décrets publiés en septembre dernier. C’est un des messages lancés par Roland Debbasch, directeur de la scolarité au ministère de l’Education, lors du congrès organisé à Paris par l’Association française pour les enfants précoces*, présidée par Sophie Côte. Les décrets devraient permettre un repérage plus précoce des différenciations pédagogiques, des aménagements des cursus scolaires, avec, notamment, des possibilités de saut de classe, ou la création de structures d’enseignement adaptées.
Une sensibilité particulière. Si ces enfants ont un QI élevé, il s’agit surtout, comme l’a souligné le Dr Olivier Revol, psychiatre pour enfants et adolescents au CHU de Lyon, de sujets «à la sensibilité particulière», pétris de contrastes, déroutants pour leur entourage. Alors que l’élève « classique » aime apprendre, mémorise facilement, apprécie la clarté et connaît les réponses, l’EIP veut savoir, devine, complique, pose des questions. Il dispose certes de nombreux atouts, mais qui peuvent se retourner contre lui parce qu’il argumente volontiers, manie avec dextérité la dérision ou parce que son hypersensibilité le rend vulnérable et son intuition, anxieux. A cela, s’ajoutent un refus des règles et de la routine, une fréquente instabilité psychomotrice, qui, ajoutés à son manque de méthode et de démarche analytique, peuvent vite l’isoler, le stigmatiser et le heurter à un environnement qui peut rejeter un enfant aussi atypique.
Qui plus est, les EIP ne semblent pas constituer un groupe homogène du point de vue cognitif. Certains, comme l’a expliqué le Pr J.-M. Baleyte, psychiatre pour enfants et adolescents au CHU de Caen, semblent souffrir d’une dysharmonie qui traduit une vulnérabilité de la pensée logique en relation avec une inefficacité des processus inhibiteurs habituels, car «être capable de penser, c’est aussi pouvoir se laisser déstabiliser par une idée imprévue». Une caractéristique qui va de pair avec une moindre estime de soi, une hyperactivité et des comportements scolaires préjudiciables.
Cette hétérogénéité de la pensée, Antoine de la Garanderie (professeur en sciences de l’éducation) l’a également commentée. Si l’enfant à haut potentiel se met toujours à réfléchir dans une atmosphère de sens dans laquelle il peut alors percevoir l’objet étudié, «dans une perpétuelle conquête d’intelligibilité des êtres et des choses», cet accès au sens ne suit pas toujours des voies identiques. Certes, il s’agit toujours pour lui de conquérir l’infini, mais il peut se mouvoir psychiquement dans l’espace, le temps ou le mouvement. Dans le premier cas, l’enfant ne peut se mettre en situation d’intuition que lorsqu’il a atteint une plénitude des acquisitions ; il a besoin de tous les moyens disponibles pour conquérir la fin. Ailleurs, au contraire, c’est la notion d’un aboutissement, d’une finalité qui le met en marche et c’est toujours à partir de la fin qu’il trouve les moyens. Dans le troisième cas, c’est l’immédiateté qui préside et la nécessité de tâtonner pour accéder au sens.
Cette approche « philosophique » a des implications pédagogiques évidentes : à quoi sert de fixer un but à un élève pour qui seule la pleine perception des éléments d’un problème peut le conduire au sens ou, à l’inverse, de cacher la finalité à celui qui ne pourra alors imaginer un itinéraire sensé ?
Reconversion cérébrale. L’avenir nous apportera peut-être un éclairage plus scientifique sur ces différences, comme c’est le cas pour l’apprentissage de la lecture, dont les fondements ont pu être récemment éclaircis grâce aux avancées de la neuro-imagerie cérébrale. Comme l’a expliqué le Pr Stanislas Dehaene (Collège de France), il existe dans la partie occipito-temporale de l’hémisphère gauche une région spécialisée pour la lecture qui s’adapte et se développe au fil de l’apprentissage pour atteindre une pleine activité à partir de dix ans. Ce processus, très reproductible dans toutes les cultures, permet une reconnaissance invariante des mots, quelles que soient leur disposition dans l’espace et leur casse (minuscule ou majuscule).
Grâce à des travaux menés chez le primate, on sait que la lecture fait appel aux régions cérébrales déjà impliquées dans la reconnaissance des objets et qui disposent d’un répertoire de différents neurones, chacun étant dédié à une forme particulière. Lors de l’apprentissage de la lecture, le cerveau s’appuie sur cet ensemble neuronal afin de repérer progressivement des lettres au sein des formes repérées. Par exemple, dans un cube, il est possible d’individualiser plusieurs lettres comme E, Y, T.
Il est également vraisemblable que certaines potentialités initiales doivent être inhibées pour permettre une lecture optimale. Ainsi la capacité d’identifier les formes indépendamment de leur orientation selon un axe de symétrie (capacité qu’ont la plupart des très jeunes enfants qui lisent aisément en miroir) doit être peu à peu désapprise sous peine de confondre certaines lettres comme p et q. Pour S. Dehaene, «les inventions culturelles comme la lecture envahissent les régions cérébrales vouées à des fonctions proches et certaines difficultés d’apprentissage de concepts ou de techniques sont vraisemblablement liées à des difficultés lors de cette reconversion cérébrale».
> Dr PATRICIA THELLIEZ
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