TEXTE DE MICHEL LEMAY
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Ma définition de l’éducateurpar Michel LemayIl y a 7 ans nous publiions cet article de Michel Lemay. À l’occasion des trente ans de l’anniversaire du diplôme d’état d’éducateur spécialisé Lien Social pose la question aux éducateurs spécialisés : vous reconnaissez-vous aujourd’hui dans la définition que Michel Lemay donnait de l’éducateur en 1992 ? En introduction au débat auquel nous vous convions, nous avons demandé à deux de nos collaborateurs, Jean-Marie Servin et Lucien Bargane, eux-mêmes éducateurs spécialisés, de nous faire part de leur point de vue sur cette question. Ci-dessous l’article intégral de Michel Lemay relooké.Les commentaires de Jean-Marie Servin et Lucien Bargane |
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À partir du moment où on donne cette définition, on voit bien que les outils sont multiples parce que les champs d’intervention sont extrêmement variés et parce que les types d’adolescents ou d’enfants, que l’éducateur a rencontrés, vont être également multiples. On a proposé un tas de définitions de l’éducateur spécialisé, je retiens celle de Gilles Gendreau qui est au Canada : l’éducateur est un thérapeute intervenant dans et par l’événement quotidien.
Première question : quel type de problème un éducateur, sur le plan psychopathologique, est-il amené à rencontrer, à accompagner et à aider ? Sur ce plan il y a eu une évolution inexorable qui s’est produite lors des trois dernières décennies. Vous savez que l’internat a d’abord été vu comme la solution avec un grand « S » aux problèmes des troubles du comportement. Dans cette période, on pensait qu’en séparant l’enfant de son milieu dit malsain, on pourrait le reconstruire et lui redonner, après quelques années, un équipement suffisant pour retourner dans son environnement. Cette illusion a peu à peu été abandonnée et il y a eu une ouverture des internats vers l’extérieur ; il y a eu la mise en place de formules alternatives et, Dieu sait si on en parle en ce moment, il y a eu, parallèlement, le développement de services d’action éducative en milieu ouvert, de services de prévention et des éducateurs dans la rue. Il y a eu des interventions avec une population qu’au départ les éducateurs avaient peu approchée : les déficients mentaux, puis un peu plus tard les handicapés et polyhandicapés. Parallèlement à cela, il y a eu des mesures thérapeutiques ambulatoires qui se sont mises de plus en plus en place dans les CMPP par exemple dans les services de l’aide précoce à l’enfance. Tout cela a permis de constater qu’un certain nombre de jeunes pouvaient être accompagnés positivement en restant dans leur milieu naturel. De multiples formes de psychothérapies individuelles et de psychothérapies de groupe se sont développées, tout comme des centres de jour, des classes spéciales, des psychothérapies familiales, etc.
Les conséquences parfois néfastes de l’institutionnalisation ont été soulignées au point de provoquer une crise très profonde, à la fois angoissante et salutaire pour les établissements. Puis il y a eu des compressions budgétaires qui ont joué un très grand rôle dans le changement des mentalités. Il découle de tout cela, que l’éducateur reçoit la responsabilité de cas de plus en plus lourds, quel que soit le contexte dans lequel il a à travailler (voir encadré page 6).
Les moyens à la disposition de l’éducateur définissent, finalement, son identité professionnelle. Ils vont faire que, dans le cortège des praticiens, il va se caractériser par ses interventions et ses fonctions. C’est une banalité de dire que l’éducateur fonde en premier lieu son intervention sur l’établissement d’une relation, c’est-à-dire sur une rencontre intrasubjective. L’établissement de cette relation suppose, chez l’éducateur, le développement d’un certain nombre de qualités qui ne sont jamais acquises définitivement. Nous pouvons en citer cinq.
Le sens de l’écoute dans le partage d’un vécu. Ce vécu amène la floraison de tout un discours verbal, gestuel et aussi de silences qui veulent dire quelque chose, qui traduisent les attentes, les désirs, les craintes du jeune ainsi que ses représentations intérieures. L’écoute signifie pouvoir entendre ce discours non seulement pour observer, mais encore et surtout pour amener le sujet à se sentir compris et, souvent pour la première fois reconnu comme une personne digne d’estime. Le fait d’être écouté par un éducateur, par une éducatrice, par un couple éducatif, n’a vraiment pas du tout la même signification pour le garçon ou la fille, selon ce qu’il a vécu dans la présence, dans l’absence, dans l’incohérence ou dans les contradictions avec les personnes antérieures. Il peut se produire une véritable réparation narcissique à l’égard de soi-même et puis à l’égard de l’homme ou de la femme.
L’acceptation de la personne dans ses richesses et dans ses limites. La grande question que l’éducateur doit sans cesse avoir à l’esprit me paraît être la suivante : comment le cadre éducatif, proposé à l’enfant par des personnes significatives, peut-il actualiser, c’est-à-dire rendre efficientes des aptitudes existant encore mais camouflées, paralysées, entravées par des conditions défectueuses de l’environnement, conditions dont nous faisons souvent partie ? Il y a souvent une croyance au déterminisme biologique, au déterminisme intrapsychique, au déterminisme social, au déterminisme systémique qui fait peser sur l’autre un regard littéralement mortifère.
La capacité à anticiper. C’est un phénomène très curieux qui commence dès la naissance ; nous ne voyons jamais l’enfant tel qu’il est, mais nous le voyons tel que nous désirons le voir. Seulement, le problème est que l’handicapé, le sujet inadapté, le sujet polyhandicapé, le sujet qui présente des entraves très profondes, peut littéralement bloquer nos attentes anticipatrices à cause de notre angoisse. À ce moment-là, nous renvoyons à ce sujet pris dans sa gangue, non pas l’image de ce qui pourrait être ses potentialités latentes, mais l’image mortifère de ce que nous pensons être pronostic définitif.
Être un contenant. Là encore, il faut faire référence au développement psychique normal de l’enfant pour découvrir le sens du mot « contenant ». Le contenant c’est une maman par exemple, qui va recevoir de son enfant, ses pleurs, sa rage, sa joie, son angoisse. Elle va accueillir, engloutir, avaler ce contenu qui n’a pas de sens, le métaboliser et le redonner transformé. La rage devient une colère désignée, les pleurs une tristesse indiquée, la joie une émotion qui concerne quelqu’un. Lorsque l’éducateur se trouve avec des enfants qui sont avec leur monde d’angoisse, leur monde de tristesse et leur monde de peurs, cette fonction de protection, de contenant, de maintenance, devient absolument nécessaire parce qu’elle rend possible la réduction ou l’élimination de certains passages à l’acte destructeurs et autodestructeurs, en donnant sens à des choses qui jusque-là n’en avaient pas.
L’aptitude à la désillusion. Alors que pleurant, l’enfant n’a pas encore demandé quelque chose mais que commence à se créer dans sa tête l’image hallucinatoire d’un biberon ou d’un sein, la maman va apporter au bon moment l’objet désiré. Tout enfant doit connaître cette période pour développer une confiance en soi et une sécurité. Dieu sait si les enfants dont nous nous occupons, soit n’ont pas connu cette phase de l’illusion, soit au contraire se sont retrouvés avec des parents incapables de pouvoir poser des limites, transformant cet enfant en un petit tyran qui, au fur et à mesure de l’existence, passe à l’acte, se croit tout puissant et entre dans le monde de l’illusion, de la grandiosité et de la toute puissance. Le difficile problème en éducation est de faire entrer l’enfant dans une certaine illusion puis, à un moment où on le sent prêt, de pouvoir le désillusionner.
Toutes ces qualités chez l’éducateur sont essentielles mais ce sont des préalables à l’intervention, préalables toujours remis en cause. Il faut, en effet, dénoncer ce mythe de l’intervenant éducatif qui, par le jeu de la parole, pourrait redonner vie à l’autre. C’est dans le partage, dans « le faire avec » que réside la spécificité de l’éducateur. Les éducateurs doivent la plupart du temps intervenir sur le champ dans un « ici et maintenant » où émerge brusquement un matériel significatif. Cette absence de distanciation qui les caractérise est une force, puisqu’elle permet d’intervenir au moment même où le problème surgit et sans que des mécanismes défensifs secondaires aient brouillé les cartes. Mais, en même temps, cette absence de distanciation oblige à une formation solide, oblige à un perfectionnement permanent, à un travail en équipe, à une supervision et à la présence de consultants qui, ne collant pas à l’action, vont permettre de pouvoir recréer un espace entre soi et l’autre qui assaille.
L’éducateur est aussi un témoin d’une certaine manière d’être, d’une certaine identité pour des jeunes manquant de références. La question fondamentale ici posée est de savoir si l’éducateur peut être un substitut parental. Je crois que l’éducateur est essentiellement trois choses : d’abord l’éducateur est un moi auxiliaire. Ce moi auxiliaire va renforcer les mécanismes de défense tels que l’évitement d’une situation trop traumatisante. C’est ce que nous faisons quand nous disons que nous prenons momentanément en charge une personne. Cette fonction a mauvaise presse ; les intervenants la rejettent au nom du respect de l’autonomie et parce qu’elle pourrait alimenter une mentalité d’assisté. Ce sont des objections valables mais il n’en demeure pas moins vrai qu’à certains moments de l’existence, un être humain peut avoir besoin de cette sorte de soutien qui empêche de sombrer et qui donne le temps de ramasser ses forces. Je disais aussi que l’éducateur est un pôle identificatoire. Le partage d’un vécu quotidien pendant plusieurs mois et, dans certains cas, plus longtemps crée évidemment des conditions très propices à devenir une personne significative dont on a le désir de prendre certains éléments valoriels, certains modes de pensée ou d’agir pour édifier sa propre personnalité. Cette identification n’est pas simple, elle ne va pas sans ambivalence, car elle amène inexorablement le jeune à établir des comparaisons entre les nouvelles identifications établies et celles qui sont issues du milieu antérieur. Le sujet peut se sentir écartelé. Pourtant, ces identifications sont le lot quotidien de l’action éducative et, chose paradoxale, elles sont parfois d’autant plus fortes que l’éducateur ou l’éducatrice n’est pas longtemps présent, car elle permet à ce moment-là des idéalisations. Il m’arrive souvent, au cours de consultations, de poser la question suivante à un adolescent ou à un enfant, peux-tu me citer une personne de plus de 22/23 ans qui est significative dans ta vie ? Il rougit puis, en baissant la tête, il me déclare qu’il ne peut pas citer une seule personne significative. Parfois, fort heureusement, ce même garçon ou cette même fille parle en évoquant autre chose. Il dit « dans tel endroit, j’ai rencontré à un moment donné un éducateur ou une éducatrice qui non seulement m’a un peu réconcilié avec le monde des adultes mais encore m’a permis de considérer qu’une femme ou un homme pouvait être autre chose que ce que j’imaginais ».
L’éducateur est aussi un pôle projectif. Je parle ici du transfert. L’enfant va avoir tendance à transformer la présente personne, son éducateur, en l’image d’une personne passée ou absente, en fonction de son sexe, en fonction de sa manière d’être et des situations d’autorité, d’affection ou de conflits qu’il va vivre. Ce point est capital parce qu’il entraîne des conséquences déterminantes dans la relation éducative.
La première est de placer l’éducateur dans une position vulnérable dont il doit avoir conscience : il est un réceptacle de tout un ensemble d’émotions qui sont en fait destinées à d’autres images. Il est confronté à tout un langage symptomatique particulièrement difficile à métaboliser, d’autant plus qu’il travaille dans le cadre d’un groupe.
Le fait que l’éducateur ne réponde pas — je l’espère — en fonction de ces projections, va amener inexorablement l’enfant à vouloir lui faire répéter les mêmes choses qu’il a connues. Comme le couple éducatif, comme l’éducateur ne répond pas de la même manière, il se produit un phénomène de changement, un phénomène de transformation du processus transférentiel qui a bel et bien valeur thérapeutique. Cela suppose, bien sûr, que l’éducateur se rende compte qu’il est lieu de projections et cela suppose qu’il sache, à partir de cela, pouvoir répondre non en fonction de ces projections, mais en fonction des besoins latents de l’enfant.
Le déroulement du vécu significatif se fait souvent à l’intérieur d’un groupe, d’un club. L’utilisation réfléchie des interrelations groupales permet de constituer une micro-société où les processus de socialisation et les processus de dissocialité peuvent être directement mis en évidence, soulignés, travaillés. C’est ainsi que l’on peut non seulement repérer les rôles, les sous-groupes qui s’établissent mais que l’on peut aussi les favoriser ou les atténuer.
Le groupe permet également la découverte des différences, permet de reconnaître les similitudes entre les personnes, suscite la joie de créer en commun, éveille le sentiment d’appartenance qui est si souvent atteint chez les jeunes handicapés, favorise la transmission des traditions. Par l’utilisation réfléchie de rencontres de groupes, régulières ou faites sur le champ, il est donc possible pour un éducateur d’analyser dans « l’ici et le maintenant » les phénomènes de groupe, d’élucider les non-dits, de développer la mutualité.
Ce qui est très difficile pour un éducateur est de pouvoir à la fois travailler avec un enfant quand on sait bien qu’une partie des difficultés provient du milieu familial et pouvoir en même temps s’identifier au milieu familial en l’écoutant, en l’accompagnant et en l’acceptant dans ses problèmes. Par sa présence, par son témoignage, par les désirs qu’il projette sur quelques membres de la famille et par ceux qu’il détermine par son image, l’éducateur va entraîner, (souvent à son insu) un réaménagement des rôles, des sous-groupes, des tensions, des attentes, des valeurs. Parfois, il rencontre les parents et, à ce moment-là, il va faire face à leur inévitable ambivalence. Parfois, il va avoir à travailler directement dans le système familial, dans le cas de l’action éducative en milieu ouvert par exemple. Dans ce cas, il va devoir se présenter comme un représentant d’une autorité judiciaire ou porteur d’un mandat de protection.
S’il ne sait trop comment se situer dans cette fonction de loi, il risque soit de l’hypertrophier, soit de l’annuler, parfois il est le représentant d’un organisme de soins.
Pour la famille il est un psy de plus dans le cortège des praticiens de la santé mentale qui se sont déjà occupés du cas. Son savoir réel et présumé éveille des craintes autant que des attentes. S’il ne peut pas les assumer il va jouer ou bien à l’analyste, sans avoir les moyens de le faire, ou dans un mouvement qu’il pense démocratique, il va se fondre dans le magma familial. Parfois il dépend clairement d’un organisme social. Il s’inscrit donc dans le groupe des travailleurs sociaux mais veut aussi faire quelque chose de différent par une action concrète et partagée avec la famille. Là encore, s’il ne sait pas bien se situer il deviendra trop distant ou il entrera dans une complicité fâcheuse avec tel ou tel sous-groupe familial. Peu à peu, qu’il soit éducateur d’internat, d’AEMO, de semi-internat, etc., il va découvrir qu’exception faite de certaines atteintes essentiellement organiques, les difficultés de l’enfant dont il s’occupe, sont la résultante du désarroi ou de l’éclatement d’un système familial. Il y a donc quelque chose en lui qui va crier, « il faut sortir l’enfant de ce milieu ». Et puis, une meilleure connaissance des parents va l’amener à constater que leurs limites, leur violence et leur incohérence s’enracinent elles-mêmes dans une histoire antérieure dramatique. Une autre voix criera en lui : « Mais où est leur responsabilité et que peut-on faire pour les aider ? » S’il partage pendant quelques heures l’ensemble du milieu, il découvrira que, si les parents blessent effectivement l’enfant, l’enfant aussi blesse les parents. Une troisième voix aura envie de proférer des menaces envers celui qui d’abord était perçu comme une victime. Une ouverture, même superficielle sur le quartier lui permettra d’apercevoir la pesée des problèmes sociaux et économiques sur la structure familiale elle-même. Une quatrième voix s’exclamera : « Deviens donc un militant social plutôt qu’un éternel pompier de service qui éteint un feu mais le voit se rallumer dès qu’il se retire ». C’est probablement entre toutes ces voix-là qu’il va devoir se situer en les écoutant et en se disant : « Comment vais-je pouvoir agir dans cet espace qui est le mien. »
Les éducateurs bien sûr sont inscrits dans un système institutionnel et dans une équipe avec ses hiérarchies, son type de leadership, ses rôles, ses sous-groupes et ses traditions. Tout le monde parle du travail en équipe parce qu’on ne peut pas être contre la vertu mais on sait aussi combien le travail en équipe est effroyablement difficile. La vie en équipe n’est pas une simple juxtaposition de membres. Elle dépend autant de l’effort fait par chacun pour se définir dans son identité professionnelle, pour voir les chevauchements, les complémentarités d’autres professions, que du mode de direction adopté, des pressions extérieures, du type d’enfants dont on s’occupe, des histoires qui se sont produites et accumulées dans l’institution et dont on ne parle pas, etc., etc. Le climat d’une équipe est aussi variable que les prévisions météorologiques. Il y a des orages, il y a des averses, il y a des grêles, il y a des éclairs puis il y a un tapis de neige qui semble tout étouffer. Malheureusement, il y a une plaque de verglas, après le dégel, plaque qui entraîne tout un sous-groupe vers une crevasse. Heureusement, il y a aussi de beaux moments ensoleillés où il reste quand même nécessaire de regarder où soufflent les vents et quels types de nuages s’amoncellent.
Parmi les professions d’aide, l’éducateur occupe un statut à la fois privilégié et difficile parce que, encore une fois, il partage des tranches de vie avec les enfants en difficulté.
Sa vision du développement de l’enfant et sa compréhension des mécanismes psychopathologiques peuvent être exceptionnelles. Je n’hésite pas à dire, en ce qui me concerne, que dans ma formation de pédopsychiatre et de thérapeute analyste, mon expérience éducative sur le terrain pendant plusieurs années a constitué un événement absolument crucial dont je suis profondément marqué. Vivre au jour le jour, avec un enfant carencé, déficient, handicapé, psychotique, caractériel, phobique apporte une lumière étonnante sur les mécanismes intrapsychiques et adaptatifs, sur les liens entre l’activité fantasmatique et le vécu au quotidien, sur les interrelations entre le corporel, le cognitif et l’affectif, sur le rôle décisif des interactions, etc. En osant plagier un auteur bien célèbre, puisqu’il a été l’inspirateur de la pensée psychique et psychiatrique de presque tout ce siècle, je dirais que l’éducateur peut écrire des pages fascinantes sur la psychopathologie de la vie quotidienne et sur son utilisation. Il pourrait d’ailleurs de la même manière écrire des pages fascinantes sur la socio-pathologie de la vie quotidienne. C’est de cela que les écoles d’éducateurs doivent parler, beaucoup plus que de se centrer sur des informations générales ou sur des recherches à caractère quantitatif. C’est sur cela que les éducateurs doivent écrire en transmettant leurs expériences souvent étonnantes, mais souvent ponctuelles et méconnues. Et c’est aussi dans cette direction que doivent s’articuler les recherches. C’est à cet effort continuel que je voudrai vous convier, tout en sachant collaborer avec les autres disciplines. Je souhaite que vous éducateurs, vous trouviez et parfois retrouviez cette flamme, cet enthousiasme, ce génie créateur qui ont caractérisé les débuts et qui, à partir des expériences accumulées, peuvent vous permettre d’avoir l’absolue conviction que, parmi les professionnels de la santé mentale et de l’aide sociale, vous occupez une place absolument privilégiée.
Michel Lemay
* Michel Lemay est pédo-psychiatre à l’hôpital Ste Justine de Montréal, ancien directeur des études à l’institut de psycho-éducation de la même ville. Originaire de Bretagne, familier du terrain de la rééducation qu’il a connu comme stagiaire au centre de la Prévalaye à Rennes tout en poursuivant ses études de médecine. Psychiatre au CREAI de Bretagne et directeur des études à l’école d’éducateurs avant de partir pour le Québec. Auteur de nombreux ouvrages parmi lesquels « Les fonctions de l’éducateur spécialisé de jeunes inadaptés » (PUF) et « J’ai mal à ma mère » (Fleurus) touchent de très prés le métier d’éducateur et les jeunes carencés relationnels qu’il côtoie quotidiennement.
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Ma définition de l’éducateur par Michel LemayLe commentaire de Jean-Marie Servin,Le commentaire de Lucien Bargane |
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Le commentaire de Jean-Marie Servin
Si Lien Social m'a demandé de réagir, sept ans après, au texte de Michel Lemay sur l'éducateur et ses fonctions, c'est évidemment en qualité d'éducateur spécialisé que je suis interpellé, mais, à titre personnel et sans aucun mandat représentatif de fait ou de droit. Par conséquent, je tiens la légitimité de ce qui va suivre des seules fonctions éducatives « de terrain » que j'ai exercées pendant plus de trente ans au plus près des enfants qui ont partagé, et qui partagent encore, quoiqu'en plus petit nombre, notre vie, dans le cadre d'un accueil familial spécialisé. Mais, notre réflexion n'est pas limitée au huis-clos familial, même professionnel et dûment supervisé. Mon engagement d'éducateur dans l'écriture, avec les gros risques qu'il comporte, témoigne assez de la ventilation d'une pensée ouverte au grand air du dehors pour le meilleur de l'oxygène mental et le pire, hélas, de l'intoxication. Et, dans cette idée d'engagement, dans et par l'écriture, je rejoins naturellement Lemay qui a toujours pensé ardemment que : « L'éducateur peut écrire des pages fascinantes sur la sociopathologie de la vie quotidienne ». C'est à Lemay que je dois la décision d'écrire et de publier, décision prise dans une sorte de contre-identification car, nonobstant mon admiration et mon amitié pour lui, je supportais mal qu'un psychiatre, fût-il d'enfants, soit presque seul à parler des fonctions de l'éducateur et de son vécu émotif quotidien.
Ceci dit, à la relecture du texte de Lemay qui précède, je n'ai rien à ajouter sur le contenu. J'ai toujours été, je suis toujours profondément, et complètement, d'accord avec lui, tout en observant que la compétence, la culture clinique, l'expérience et la rigueur d'écriture de Lemay produisent souvent une totalité compacte devant laquelle, dans un premier temps, on n'a plus rien à dire car il semble avoir tout dit. Nulle flagornerie dans ce propos plutôt critique d'une excellence capable d'intimider. Mais, à relire ce texte dans l'environnement social, politique, culturel économique de cette fin de siècle, je constate qu'il est toujours capable de stimuler et de vivifier la réflexion d'un éducateur « de terrain ». Le « de » terrain m'apparaissant comme une particule justifiée par la noblesse du métier.
La mise en œuvre des propositions de Lemay me semble aujourd'hui de plus en plus difficile. D'abord parce que, avant d'être un professionnel de la relation éducative, l'éducateur, au sens générique du terme qui comprend évidemment les éducatrices majoritaire dans la profession, l'éducateur est un être engagé nécessairement dans son temps. Avant de réfléchir à son métier il est appelé à penser le monde et à se penser dans le monde. Et, ce travail de la pensée est de plus en plus difficile. Le monde est de plus en plus complexe. L'information en temps réel tétanise la réflexion au bénéfice d'une sorte d'érotisation et de fétichisation du message qui occultent tout l'espace de la critique et du jugement. L'information en temps réel tire sans recul. D'autre part, le désenchantement existentiel produit par l'effondrement des religions et des idéologies révolutionnaires, l'anéantissement des promesses qu'elles soutenaient, la violence extrême du siècle qui s'achève, le tragique inéluctable et répétitif de l'Histoire, la radicalité critique des sciences humaines (Foucault et la « mort » de l'homme...), vident de sens l'humanisme dans lequel nous avons été élevés sans qu'un nouvel humanisme soit encore décelable. Les valeurs qui faisaient sens sont aspirées dans les tourbillons d'un libéralisme sauvage et marchandisées, tels le travail ou le sport, meilleurs leviers de l'action éducative et dans quoi les enfants et les adolescents trouvaient leurs plus solides images d'identification. Pour tout projet de vie porteur de sens on leur impose cyniquement d'être des bouches muettes qui consomment. La question du sens, dont Ricœur estime qu'elle est peut-être plus grave, plus nécessaire, plus urgente que celles de la justice ou de l'amour, est compliquée par un phénomène complètement nouveau et universel. Dans le débat intime à chacun entre le vrai et le faux s'insinue quelque chose de plus redoutable que le mensonge : le virtuel. Au vitrail des cathédrales empli de mythes fondateurs colorés s'est substitué l'écran de l'ordinateur. Le terrible du virtuel est qu'il est capable de produire du rêve sans produire de sens car il produit un rêve déconnecté de l'inconscient du rêveur. Il oblige à rêver, mais comme Barthes écrivait du fascisme qu'il « oblige à dire ». Par conséquent, il est bien difficile pour l'éducateur de penser le monde, de se penser dans le monde, avant de penser la relation éducative avec des jeunes en difficulté dans ce monde...
Dans « Le diagnostic en psychiatrie infantile » Michel Lemay écrit que « l'on ne soigne bien que ce que l'on connaît bien » ce qui introduit la question de la pertinence et de l'éthique d'un diagnostic. À cet égard, nous suivons tout à fait Lemay dans l'élaboration continue, longitudinale, en un mot dynamique du diagnostic. Si l'éclairage analytique est prévalent dans sa pratique (notamment dans le psychodrame) et dans ses écrits, sa pensée n'est jamais enfermée dans un modèle, particulièrement dans son travail sur les psychoses dont il pense qu'elles ont une origine plurifactorielle, somatique, génétique etc. Cette liberté de pensée et de recherche à l'intérieur du modèle analytique est exemplaire. Le travail et la recherche de l'éducateur sont encore trop souvent encombrés par des modèles dominants, des effets de mode théorique et conceptuelle tels la psychanalyse ou la systémie. Réflexion faite, on comprend bien que l'enfant symptôme, le patient désigné ont à voir avec le bouc émissaire biblique si bien réintroduit dans le champ de la pensée contemporaine par R. Girard. Ce rapprochement ouvre un champ de liberté immense pour la créativité psychopédagogique. Ce n'est pas le champ des concepts mais le champ de la culture. Je regrette que le travail de la pensée auprès des enfants en difficulté ait été trop souvent enfermé dans la vision structurale d'un lacanisme envahissant, riche théoriquement, certes, mais peu productif au plan éducatif. Au contraire, la vision dynamique du bébé ou de l'enfant ou de l'adolescent, telle qu'elle est proposée par D. Winnicott, Myriam David, ou par F. Dolto, suscite un engagement émotionnel effectif de l'éducateur, une implication subjective qui est, pour l'essentiel, le contre-transfert moqué par un Lacan hégémonique.
La réflexion clinique peut se déployer sur les mutations psychopathologiques présentées par les jeunes dont nous nous occupons : les bonnes vieilles névroses ont disparu. Certes, elles ont généré bien des souffrances et des invalidités, mais, elles avaient au moins l'avantage de renvoyer vers des images parentales existantes et intériorisées. Elles étaient capables de générer des formations réactionnelles adaptatives et socialisantes parmi lesquelles la sublimation était la plus créatrice, notamment chez... les éducateurs. Nous sommes confrontés aujourd'hui à des enfants privés de charpente psychique, de « moi-peau » filtrant les affects, enfants marqués par des carences précoces, une pathologie sévère du lien, et des carences éducatives dramatiques. La majorité des jeunes que nous côtoyons ont aussi mal à leur père. Dans un mémoire universitaire récent, une collègue éducatrice écrivait à propos de ces jeunes carencés cette phrase terrifiante : « Ils ne peuvent choisir qu'entre la castration et la mort ». C'est la raison pour laquelle la place laissée par « le » père, ou certains éducateurs, est occupée par les juges. À ces derniers, notre profession adresse le leitmotiv d'une demande de « rappel à la loi ». C'est une demande assez naïve qui oublie qu'on ne peut rappeler que ce qui a été préalablement connu et intériorisé. A se défausser trop longtemps sur les juges, les éducateurs perdront le sens de leur travail qui est l'inscription sociale de l'enfant par l'expérience dynamique de la relation éducative au quotidien. Je reconnais que cette inscription sociale, qui passe évidemment par la signification constante de la loi et l’exemplarité, est de plus en plus difficile dans un monde en perte de sens et qu'il est de plus en plus difficile aux éducateurs de retrouver « cette flamme, ce génie créateur, cet enthousiasme » des débuts exaltés par Lemay.
Une question pour terminer : cette flamme, ce génie créateur, cet enthousiasme peuvent-ils être contenus dans les 35 heures hebdomadaires ? Le débat surréaliste qui nous occupe actuellement me laisse pantois. En effet, je crois au primat absolu de la clinique sur la gestion. Un débat sur l'horaire de travail des éducateurs devrait être organisé en priorité autour des manifestations psychopathologiques des jeunes et de ce qu'ils nous demandent en langage symptomatique : sécurité, cohérence, autorité, contenance, durée, régularité, engagement émotif. Un projet pédagogique rigoureusement articulé à une clinique devrait produire logiquement son contrepoint administratif. J'en ai fait l'expérience depuis vingt-trois ans dans mon modeste champ de travail. Certes, en dépit de l'idéologie managériale de productivité qui traverse nos établissements et services, nous ne sommes pas, du moins pas encore, astreints à une obligation stricte de résultats. Par contre, l'éthique, la déontologie propres à nos métiers, la « demande » des enfants, nous imposent une obligation de moyens. Je pense toujours que l'engagement personnel, les capacités créatrices de l'éducateur peuvent inventer ces moyens dans le cadre d'un horaire de travail annualisé ou forfaité. Lorsque j'observe que, par contraintes horaires, des internats ferment systématiquement tous les WE en renvoyant les enfants chez eux ou en les confiant à des familles d'accueil, je me demande ce qui reste aux éducateurs comme temps forts de vie partagée avec les jeunes et comme sens à leur vie professionnelle. Quête de sens, mutations psychopathologiques, contraintes administratives, tels sont les trois axes de ma réflexion à partir du texte de Michel Lemay, réflexion conduite sur un chemin de crête entre pessimisme et utopie à un moment crucial où trois des jeunes que nous avons accompagnés pendant des années nous infligent un très douloureux sentiment d'échec. L'un d'entre eux, qui fut, et qui reste, le plus inexplicablement difficile, nous apporte pourtant une sorte de consolation paradoxale. Il était un jour, avec sa mère, ses frères et nous dans le bureau du juge des enfants. Ce dernier, désemparé par le comportement de la mère lui disait : « On a tout fait pour vous aider, madame ! Que faut-il faire de plus ? » Et le garçon a lancé au magistrat : « T'as qu'à lui donner un éducateur ! ».
J M. Servin
(1) B. Etienne « L'islamisme radical » Hachette 1987.
Le commentaire de Lucien Bargane
La relation d’aide constitue le noyau du métier d’éducateur spécialisé. C’était vrai il y a sept ans, et ça l’est encore aujourd’hui. Il n’y a donc rien à redire à la description et à l’analyse produites par Michel Lemay. Elles mettent des mots sur ce qui était jusqu’alors du « tripal » (l’éducateur revendiquait le fait de travailler avec ses tripes) et, par le fait même, elles confirment la professionnalisation de ce métier. Toutefois, ce souci de l’autre est impuissant à fonder, seul, la légitimité du métier d’éducateur spécialisé ; celui-ci doit intégrer ses compétences d’aide éducative à une vision plus globale, c’est-à-dire plus politique, du sens de l’action conduite. Être éducateur est à la fois un métier et un engagement.
La supposée « démission des parents » et la très réelle violence d’une partie de la jeunesse ne sont pas seulement des faits subjectifs liés à l’attitude de certains individus mais des conséquences objectives de choix politiques et économiques. À cet égard, l’analyse faite par Michel Lemay du rapport de l’éducateur à la famille, susceptible d’entraîner un « réaménagement des rôles et des valeurs », doit être étendue au rapport de l’éducateur à l’espace social. Dès lors, il n’y a aucune raison pour que l’éducateur spécialisé ne soit pas, comme le reste de la société, saisi de la difficulté à s’inscrire dans l’incertitude et la complexité qui caractérisent le monde contemporain. Et il n’y a aucune raison à ce qu’il ne se coltine pas les mêmes difficultés que tout autre professionnel confronté à la prise de décisions et au devoir d’en assumer les responsabilités. En revanche, et au regard du sens de son engagement, il a, moins que tout autre, le droit de se laisser aller à cette crise du temps présent imprégné de « m’enfoutisme » et de délitement du lien social. Mais, subissant le poids de l’abandon successif de croyances en la lutte des classes, en la société de plein emploi ou au progrès social continu, il n’a eu de cesse, au cours de ces vingt dernières années, d’attendre de l’État qu’il définisse le cadre de l’action sociale. C’est d’ailleurs la principale revendication exprimée par les 2 500 participants aux États Généraux des éducateurs organisés par Lien Social en 1992, à Toulouse. Et cette attente n’a pas cessé d’être déçue… Non pas que l’État ne veuille pas s’approprier ce rôle et conduire une telle politique ! Mais il n’a plus les moyens de cette ambition car est révolu le temps des idéologies susceptibles d’imposer à tous la Vérité sur le « pourquoi ? » et le « comment faire ? ». Pour autant, l’effritement des idéologies religieuses ou politiques n’est pas synonyme de perte des valeurs et l’éducateur ne devrait pas se sentir démuni. Au contraire, pour Pierre Manent, philosophe : « Il y a une nouvelle grande autorité, celle de l’humanité, articulée soit comme droits de l’homme, soit comme sphère de la compassion. Devant cette immense autorité, ajoute-t-il, rien ne résiste » (1). La référence aux droits de l’homme peut servir de nouvel ancrage idéologique à l’éducateur en lieu et place du désir, toujours suspect, de vouloir faire le bonheur de l’autre. Il doit s’en saisir et, pour cela, se forger une nouvelle attitude face au « pouvoir ».
La critique de la logique d’assistanat, qui hante le secteur social, signifie moins une remise en cause du bien fondé des dispositifs sociaux et l’abandon des devoirs régaliens de l’État que l’exigence d’une réforme de l’attitude des éducateurs. Ceux-ci ont pris et prennent l’habitude de se faire les fonctionnaires appliqués et consciencieux de dispositifs, et ils tendent à sous-estimer leur capacité d’invention et de résistance. Car plus personne, et surtout pas les éducateurs, ne veut faire de la politique. De façon à peine caricaturale, ces derniers donnent à croire que leur intérêt professionnel se confine aux limites de leur établissement et de leur plage horaire. Pourtant le choix des fonds de pension au détriment d’un système de retraite par répartition, l’emprise des théories monétaires sur les choix politiques ou de la spéculation boursière sur l’emploi sont autant de faits, parmi beaucoup d’autres, qui concernent l’éducateur par leur répercussion sur la vie des individus, leur niveau de vie et leur possibilité d’insertion sociale et l’amener à prendre une part active aux débats. Au lieu de cela, son silence interroge sur sa capacité d’engagement.
La référence idéologique aux droits de l’homme amène donc les éducateurs à revoir leur conception du rôle de l’État et par conséquent à revisiter leur rapport au « territoire » et aux logiques institutionnelles. Durant ces vingt dernières années, l’action sociale s’est empêtrée dans le Grand bazar de la solidarité ou les ramifications sordides des Associations lucratives sans but et une sorte de dérive égoïste a nourri le souci de la survie des associations ou des collectivités territoriales plutôt que l’intérêt des bénéficiaires (2). Sur « le marché libre » de la création des places et des extensions de service, l’action sociale a connu et connaît encore la logique de la loi du plus fort où la morale en vigueur est celle par laquelle la fin justifie les moyens. En effet, si les créations sont bel et bien soumises aux critères rigoureux du Comité régional d’organisation sanitaire et social (CROSS), la réalisation des projets dépend plus que jamais de l’accès au financement et d’intérêts étrangers à l’action sociale. Bernard Kouchner, secrétaire d'État à la Santé et aussi, faudrait-il ne pas l’oublier, à l’Action sociale, rappelle à propos de l’hôpital qu’il « n’est pas un instrument de la politique d’aménagement du territoire mais que l’aménagement du territoire doit contribuer à développer l’ensemble des moyens nécessaires pour assurer l’égal accès à des soins de qualité ». La remarque vaut pour les établissements et services d’aide éducative. Lucide, le ministre ajoute : « Ce n’est ni un discours de la facilité, ni un discours de la fatalité » (3). Ainsi, dans le domaine de l’action sociale, l’éducateur devrait contribuer à mettre un terme à certains monopoles associatifs sur la prise en charge de telle ou telle catégorie de population. Il devrait être un artisan du mouvement de population d’un établissement ou service à un autre décidé en fonction du besoin de l’individu et non plus des intérêts des structures. Il devrait favoriser les échanges entre les professionnels et être l’instigateur de réseaux d’information et de savoir faire.
Il ne faut pas se leurrer : mis à part les éducateurs eux-mêmes, personne n’a intérêt à voir surgir un professionnel qui soit à la fois libre et responsable. C’est aux éducateurs de se faire la place qu’ils méritent. Ils ont les moyens de se construire une conscience autonome de leur métier ; il leur faut maintenant la volonté et la détermination. Car il ne s’agit pas seulement d’accumuler de nouveaux savoir-faire afin de réformer leurs compétences, mais de construire une nouvelle représentation de leur métier. Celle-ci doit admettre qu’elle n’est plus exclusivement tournée vers la relation d’aide, voir la gestion d’une clientèle, mais, pour citer Lise Demailly, que « la spécificité des métiers relationnels de service public » est de produire « non des prestations de service mais des actes socio-politiques, culturels, éthiques, interpersonnels ». Et dans le même article, où elle analyse l’ambiguïté du terme de client, l’auteur conclut sur « la dimension fondamentalement politique d’un certain nombre d’activités sociales » (4). L’éducateur spécialisé n’est pas seulement un salarié d’une association ou d’une collectivité locale ; il n’est pas non plus seulement un professionnel au service du client. Il n'est pas seulement un acteur du social, au sens de celui qui joue un rôle, mais le réalisateur et le metteur en scène de choix de société.
Le fait d’intégrer cette part voilée de son rôle à sa raison d’être là en tant que professionnel doit pousser l’éducateur à adopter une autre attitude face à la formation et/ou à l’information. En effet, la réforme du diplôme d’état a intégré de nouveaux savoirs à transmettre aux futurs professionnels tels que les lois régissant le secteur social, le fonctionnement des institutions publiques, le droit, l’économie, etc. À la différence de Michel Lemay, je critique moins le caractère superflu de ces savoirs que le fait qu’ils soient appris pour être récités et pour satisfaire à l’exigence du diplôme. Ils sont trop rarement approchés par les étudiants pour être assimilés, c’est-à-dire pour en tirer les conséquences d’un point de vue pratique. De fait, le sens échappe en même temps qu’une vision claire du métier. Or, de celle-ci dépend la vigueur de « la flamme, de l’enthousiasme et du génie créateur » qui, selon Michel Lemay, caractérisait le début du métier d’éducateur. S’ils veulent véritablement advenir à eux-mêmes, les éducateurs ne doivent pas oublier que la compétence n’est pas le produit d’une accumulation de savoirs mais celui d’une disposition à agir. C’est celle-ci qui, d’ailleurs, fait le lien entre toutes les variantes de leur métier et qui devrait permettre d’échapper à son incroyable et insupportable morcellement.
Commentant une réflexion à paraître de la Fédération santé-sociaux CFDT, Maryvonne Nicole dit que « la première problématique, concernant l’approche du métier d’éducateur spécialisé, réside dans le fait qu’il existe plus de vingt lieux d’exercice professionnel, avec des publics différents » (5). Ce constat est irréfutable. En revanche, le diagnostic par lequel elle affirme que « cette diversité [qui] requiert des savoir-faire et des compétences différentes » parce que devant répondre « aux multiples types de prise en charge » paraît devoir être nuancé. Si la prise en charge éducative est légèrement modifiée selon le cadre et la population concernée, en revanche les objectifs poursuivis par les éducateurs sont les mêmes et requièrent les mêmes grandes capacités : savoir éduquer, savoir former, savoir communiquer, savoir soigner, savoir animer, savoir gérer et savoir entretenir. De ces grandes capacités il est permis d’établir un référentiel de compétence (6). Il y a un seul et même métier chez les éducateurs spécialisés et les professions qui en dérivent (moniteurs éducateurs et AMP) même s’il y a une diversité d’approche possible selon le cadre, les personnes accueillies, les sensibilités et les niveaux de formation des professionnels impliqués. Il paraît urgent que cette identification à un corps professionnel plutôt qu’à un champ morcelé se fasse rapidement car c’est, sous peine de s’épuiser et de disparaître, la seule façon offerte aux éducateurs d’agir en cohérence plutôt qu’en co-errance et de prendre leur part dans le processus de transformation sociale en cours.
L. Bargane
(1) Pierre Manent et Alain Renaut, La démocratie contre le prestige, Le Monde des débats, Mars 1999
(2) Pierre Kaltenbach, Associations lucratives sans but, Ed. Denoël, 1995
(3) M. Kouchner contre les « logiques de citadelles », Le Monde, 19 décembre 1998
(4) Lise Demailly, Les métiers relationnels de service public : approche gestionnaire, approche politique, dans revue Lien social et Politique, n°40
(5) Nicolle Maryvonne, vers un cahier revendicatif, Multiple, bulletin de liaison CFDT santé-sociaux, Mars 1999
(6) Philippe Gaberan, Etre éducateur dans une société en crise, un métier et un engagement, Ed. ESF, 1998
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Peut-on devenir éducateur par l’apprentissage ?
Tel l’apprenti menuisier ou l’apprentie coiffeuse il y a désormais l’apprenti éducateur. C’est en train de sortir, et ça pose beaucoup de questions : nos filières peuvent-elles harmonieusement développer ce type de formations ? Ces métiers du social vont-ils s’en accommoder ? Quel tutorat est mis en place ? Comment les candidats sont-ils payés ? Quelles sont les différences avec les contrats de qualification ?
Dans le cadre d’un accord signé le 12 janvier 1998 entre partenaires sociaux et syndicats employeurs, une possibilité nouvelle de formation : la voie de l’apprentissage, est désormais ouverte. Un fond national pour l’apprentissage ayant été créé à cet effet, l’accès est ainsi permis à la qualification par l’alternance dans la filière sanitaire et dans la filière éducative. Un document intitulé Éducateur spécialisé et moniteur éducateur en contrat d’apprentissage a d’ailleurs été édité par l’Union des fédérations et syndicats nationaux d’employeurs sans but lucratif du secteur sanitaire, médico-social et social (Unifed) (1). Il en précise l’enjeu : d’une part « dynamiser la participation du secteur professionnel à la formation des travailleurs sociaux en investissant le processus d’alternance », d’autre part « répondre à des besoins d’emploi non satisfaits. Les difficultés de recrutement en internats et en prévention spécialisée sont, par exemple, connues ; de nouveaux emplois sont créés dans le cadre de l’ARTT ; des questions sont posées par la pyramide des âges… » (voir encadré).
C’est ainsi qu’en septembre 2000, huit régions (Aquitaine, Bourgogne, Bretagne, Centre, Ile-de-France, Nord-Pas-de-Calais, Basse-Normandie et Picardie) ont démarré des sections d’apprentissage dans leurs centres de formation labellisés.
Par exemple, les formations d’aide médico-psychologique (CAFAMP, niveau V), de moniteur-éducateur (CAFME, niveau IV), d’éducateur de jeunes enfants (DEEJE, niveau III), d’assistant de service social (DEASS, niveau III), de conseiller en économie sociale et familiale (DECESF, niveau III) et d’éducateur spécialisé (DEES, niveau III) peuvent être préparées à l’IRTS de Paris par voie d’apprentissage (2). Elles sont organisées sur le principe de l’alternance : 50 % environ du temps en centre de formation, 50 % sur le terrain professionnel. Dans une présentation récente intitulée L’IRTS-Paris Île de France face à ses enjeux actuels, il est considéré que le « fonctionnement traditionnel dans les formations aux professions sociales est un atout supplémentaire pour mettre en œuvre ces cursus par voie d’apprentissage ».
À l’occasion de l’ouverture de son centre de formation des apprentis (CFA) « hors les murs », l’association pour le développement de l’apprentissage dans les professions sanitaires et sociales en Ile-de-France (ADAPSS) (3) rappelait, il y a quelques mois, aux associations d’employeurs, l’ouverture d’un premier cycle de formations d’éducateur spécialisé et de moniteur-éducateur… Elle y soulignait que l’établissement ou le service devait être en mesure de nommer un maître d’apprentissage responsable de sa formation.
Titulaire du bac pour devenir éducateur, l’apprenti est âgé d’au moins dix-huit ans, jusqu’à vingt-cinq ans maximum. La sélection comprend une épreuve écrite de culture générale et des épreuves orales destinées à appréhender les motivations et les aptitudes à suivre la formation. Son contrat fixant les dates de début et de fin d’apprentissage sera adressé à la direction du travail. Mais les bases de son salaire sont — par dérogation au code du travail — celles réservées aux contrats de qualification, « à défaut d’un SMIC plus favorable ». L’employeur bénéficie des mesures d’aide à l’embauche (indemnité compensatoire forfaitaire, exonérations de cotisations sociales).
Textes de références
Circulaire DAS/TSIS/TS1 n°99/519 du 7 septembre 1999 relative à la mise en œuvre, à titre expérimental, des formations d’éducateur spécialisé et de moniteur éducateur par la voie de l’apprentissage. Articles L 115-1 à L 119-5 et R 116-1 à R 119-79 du code du travail relatifs aux contrats d’apprentissage. Arrêté du 6 juillet 1990 fixant les modalités de sélection et de formation des éducateurs spécialisés. Arrêté du 6 juillet 1991 fixant les modalités de sélection et de formation des moniteurs éducateurs. |
Salarié de l’établissement, le maître d’apprentissage « contribue à l’acquisition par l’apprenti des compétences correspondant à la qualification recherchée, aux diplômes préparés, en liaison avec le centre de formation des apprentis ». Il doit être lui-même diplômé, et disposer d’une expérience professionnelle d’au moins trois ans. Il ne pourra pas encadrer plus de deux apprentis. La formation des maîtres d’apprentissage est assurée par les centres de formation des apprentis (CFA) : sa durée totale est fixée à 120 heures. L’employeur s’engage à libérer le maître d’apprentissage pour le mettre à disposition du processus pédagogique de formation. Le suivi auprès de « son » apprenti est de 10 heures par mois, soit 320 heures pour toute la durée de formation des éducateurs spécialisés (210 heures pour les moniteurs-éducateurs).
À l’IRTS parisien, on considére que la formation de tuteurs-responsables de stage effective depuis quelques années, « offre un réseau potentiel d’intervenants pour une formation des maîtres d’apprentissage ».
Jeudi 3 mai 2001, IRTS-Paris, fin de journée : Marie-Paule Manach, responsable du groupe, et Lorette Pierret, directrice du CFA, accueillent les apprentis de la première promotion. Pour l’Ile-de-France, ils sont 15 éducateurs et 2 moniteurs-éducateurs. Ils auraient pu être (au moins) le double, mais le démarrage a été difficile : partenariats à mettre en place entre le conseil régional, le CFA et le service académique d’inspection de l’apprentissage (SAIA), réticences des employeurs, en général peu informés… Un jeune homme seulement, pour quatorze jeunes filles, dont certaines sont d’ailleurs absentes pour raisons… professionnelles. Ils sont jeunes, autour de 20 ans. Marrant (e) s. Exigeant (e) s. Il et elles ont mille questions à débattre : mise en place de petits groupes pour les rapports de stage, date du prochain groupe de suivi, dates des stages de l’an prochain — stages « hors champ » puisque ailleurs que chez l’employeur —, stage découverte à organiser « puisque le projet Sénégal est tombé à l’eau », emploi du temps des UF de l’an prochain… La question d’éventuels stages sur les temps de vacances fait remous : « C’est illégal ! », s’insurge une participante, les responsables s’engageant à se renseigner.
« On veut des repères ! », « on tâtonne », se plaignent les apprenti (e) s. Les conditions de travail ne sont pas évidentes (l’apprenti a-t-il (elle) le droit de faire des nuits seul (e) ? Le travail en doublure est-il obligatoire ? Etc), les trajets sont pénibles pour beaucoup d’entre eux. Certain (e) s n’ont pas reçu encore leur contrat. Les responsables enregistrent les plaintes, répondent aux questions, égrènent les points d’organisation. « C’est cool, pour l’instant, on n’a pas dévié de l’ordre du jour », rigole insolemment une jeune fille.
Selon qu’elles (et il) soient en internat, dans un conseil général, en prévention ou en Aemo, la réalité — y compris salariale — est différente. Elles (et il) touchent en moyenne 4500 francs nets mensuels.
Les formatrices rappellent au groupe que la DDTE doit être prévenue deux mois avant le stage, qu’un projet doit être élaboré, avec dates et contenu. Il est d’ailleurs rappelé l’importance et l’intérêt des écrits, une bonne partie du groupe ayant semble-t-il quelques difficultés avec la chose écrite.
Les rencontres avec les maîtres d’apprentissage font débat : la représentation de l’apprenti, dans notre secteur, n’est semble-t-il pas évidente pour le professionnel. Ce n’est pas un stagiaire, ce n’est pas un « cours d’emploi » ni une « voie directe » (dont c’est toutefois le même parcours), ni un contrat de qualification… Il y a des questions de disponibilité — « le mien, je le vois jamais, il travaille au siège », a-t-on pu entendre… — voire de statut.
Au-delà des enjeux globaux (lire page 8), des questions techniques se posent : tous les secteurs du travail social sont-ils adaptés à cette formule ? Les CAT et les IME intégreront-ils plus aisément leurs apprentis que la prévention spécialisée ? Est-ce réellement, pour certains secteurs qui ont du mal à recruter, un moyen de fidélisation ? Une fois rôdée, les employeurs rassurés et les partenariats bien établis, ce type de formation pourrait, dans la conjoncture actuelle, présenter des avantages certains. À suivre.
Joël Plantet
(1) UNIFED – Tél. 01 56 89 07 80. Délégué pour la CPNE-apprentissage : Didier Tronche. Tél. 01 43 14 89 00.
(2) IRTS-Paris – 145, avenue Parmentier - 75010 Paris. Tél. 01 42 03 08 31. e-mail : irtsparis.idf@wanadoo.fr
(3) ADAPSS – 145, avenue Parmentier - 75010 Paris. Tél. 01 42 03 08 31 - Fax 01 42 45 23 60.
Les 11 raisons d’engager des apprentis dans notre secteur, selon l’ADAPSS
1- Développer un système complémentaire de formation qualifiante dans le secteur, compte tenu du véritable concours que constituent aujourd’hui les sélections en formation voie directe du fait du nombre croissant de candidats.
2 - Diversifier les processus de formation qualifiante en alternance en apportant l’expérience du terrain.
3 - S’investir dans une véritable démarche pédagogique auprès des écoles de formation en adaptant les formations aux réalités des évolutions actuelles de l’action sociale et médico-sociale.
4 - Trouver des réponses nouvelles au problème de recrutement de personnels éducatifs qualifiés en Ile-de-France.
5 - Anticiper l’évolution du marché de l’emploi compte tenu des prochains départs à la retraite des travailleurs sociaux du secteur.
6 - Responsabiliser des éducateurs spécialisés dans la fonction de maître d’apprentissage. Mission qui pourrait être validée pour des fonctions futures d’encadrement.
7 - Offrir des perspectives de formation rémunérée à des jeunes adultes motivés issus du territoire d’implantation de la structure. Participer à l’emploi local.
8 - Utiliser les moyens rendus disponibles par l’accord de branche sur le fond national de l’apprentissage.
9 - Éviter l’emploi d’éducateurs stagiaires dont la perspective de formation en cours d’emploi est quasi nulle. Les remplacer par l’embauche de deux apprentis à des coûts quasiment équivalents compte tenu des conditions de rémunération et des exonérations partielles ou totales des charges (en fonction de la taille de l’association).
10 - Convertir les heures supplémentaires en emploi. Permettre une organisation plus souple de la prise en charge en période de vacances.
11 - Créer de l’emploi en lien avec l’aménagement et la réduction du temps de travail et le passage aux 35 heures.
Quels avantages, pour qui, dans la formation par apprentissage des éducateurs ? Attention aux dérives.
Les élèves pourraient y gagner financièrement, les employeurs stratégiquement, les écoles... opportunément. Mais au bout du compte tout le monde peut très bien y perdre
Depuis que les diplômes d’État existent dans le secteur sanitaire et social, la formation des professionnels est l’affaire des centres de formation. Or le 12 janvier 1998, un accord de branche du secteur sanitaire, médico-social et social crée un fonds national pour l’apprentissage et rend techniquement possible la création de CFA dès cette rentrée 2000. Bien sûr, les écoles demeurent le support technique à la réalisation des formations mais, dans tous les autres corps de métier où la formation par l’apprentissage existe déjà, la tension est forte entre les employeurs qui financent les formations et l’autorité pédagogique qui est garante du contenu de formation. On connaît la tendance à former les apprentis au « just in time » c’est-à-dire « au juste nécessaire imposé par l’employeur » qui vient d’Outre-Atlantique et gagne l’Europe. Les centres de formation savent bien que, en s’engageant dans la voie de l’apprentissage, ils vont perdre une partie de ce pouvoir dont ils ont certainement trop abusé par le passé mais sur lequel ils ne peuvent pas abdiquer totalement sauf à renoncer à leurs idéaux. Bien sûr, les diplômes sont garantis par décrets et circulaires. Mais faute d’avoir construit des outils d’évaluation avant de mettre les centres de formation en concurrence, il n’est pas certain que les autorités de tutelles puissent empêcher les dérives possibles. D’autant plus que le financement par les employeurs soulage leurs propres finances et favorise celle des élèves.
En effet et à l’instar des étudiants dont le niveau de vie ne cesse de baisser, les élèves éducateurs font face à des situations de vie de plus en plus difficiles. Beaucoup d’élèves vivent une véritable galère. Il s’agit là d’un phénomène aussi nouveau qu’inquiétant. Jusque dans la fin des années 80, la formation continue est la voie royale vers la professionnalisation. L’élève éducateur, qui part en formation avec l’accord de son employeur, ne paye pas les frais de scolarité, perçoit l’intégralité de son salaire et peut se faire rembourser une partie de ses frais. Il faut bien reconnaître que la formule est coûteuse pour l’employeur et ce d’autant plus que, comble de l’imprévision, très souvent, aucun contrat ne lie l’employeur et le salarié en formation. Le diplôme obtenu, beaucoup d’employeurs perdent ainsi leur investissement. Par ailleurs, les rapports des employeurs avec les centres de formation n’ont jamais été simples. Toujours suspectée de n’avoir jamais la bonne mesure, la « parole du terrain » ne pèse guère dans le processus de formation. Pas étonnant alors que les employeurs se soient détournés de la formation de leur personnel éducatif laissant à chaque salarié l’initiative et la responsabilité d’assurer sa qualification. Aujourd’hui, beaucoup de professionnels, qui n’ont pas eu la chance de bénéficier d’un congé individuel de formation (CIF) ou de bricoler une situation pour bénéficier d’une allocation de formation pour le réemploi (AFR), suivent leur formation en cours d’emploi en ayant accepté un temps partiel qui entraîne une diminution de leurs ressources. À l’inverse, l’apprentissage permet aux élèves éducateurs d’être rémunérés durant leur formation. La création des filières de formation par l’apprentissage est donc une aubaine pour les élèves éducateurs et pour les employeurs qui reprennent la main sur les formations.
L’idée de la création des CFA étant loin de faire l’unanimité, qu’est-ce qui pousse alors les écoles à se passer la corde autour du cou ? Il semble que les centres de formation sont engagés dans des stratégies de survie où la nécessité de trouver des fonds propres est un objectif, sinon prioritaire, du moins égal au souci de la qualité des prestations fournies. Sur le marché non extensible de la formation la concurrence est si rude que celui qui ne parvient pas à se placer sur un nouveau créneau court immanquablement le risque de disparaître. Dès lors, en étant la première à fédérer ses adhérents, l’Union des fédérations et syndicats nationaux d’employeurs sans but lucratif du secteur sanitaire, médico-social et social (UNIFED) prend incontestablement un sérieux avantage, en même temps qu’elle ne laisse aux autres employeurs et centres de formation que le choix de se rallier ou de renoncer.
Philippe Gaberan
Et si l’apprentissage était un contrat plus équilibré ?
L’apprenti a le temps de voir si le métier lui convient, l’employeur le guide et est payé de retour par le travail fourni, le centre de formation apporte les compétences pour un service donné. Il ne reste plus qu’à essayer. L'analyse de Jean-Yves Barreyre, éducateur et sociologue, directeur du CREAI Île de France.
Quels sont les enjeux de l’apprentissage en travail social ?
On peut situer les enjeux de l’introduction de l’apprentissage dans la formation des intervenants sociaux au moins à trois niveaux : ceux des politiques sociales, des centres de formation et des futurs apprentis :
• Du point de vue des politiques sociales, le principe de l’apprentissage, en substituant au couple « formateur d’école - formateur de terrain », souvent déséquilibré, parfois même « sado-maso », le couple-partenaire « formateur d’école – maître d’apprentissage », participe d’un rapprochement entre les problématiques de formation et les problématiques de terrain. L’apprentissage pourrait bien faire le lien, de manière modeste certes, entre la logique des schémas de formation – initiés presque par inadvertance par la loi contre les exclusions en 98 -, et la logique des schémas territoriaux d’action sociale initiés par la loi de 75, soutenus par les lois de décentralisation et la loi particulière, et mise en avant par le projet de réforme de la loi sociale. Or, tant que ce lien n’est pas établi, de manière pertinente et durable, les quiproquos entre les espaces de mise en œuvre des politiques sociales et les espaces de formation, — ou, pour faire court, entre les employeurs et les formateurs — perdureront.
• Du point de vue des centres de formation, la relation contractuelle de l’apprentissage rompt avec celle des formations traditionnelles en alternance et de la recherche permanente des terrains de stage. Dans les formations traditionnelles, on pourrait dire de manière caricaturale que le mode de relation entre « le centre » et « les terrains » (périphériques ?) fonctionne sur le principe du « service » rendu à l’école par les terrains, école qui se protège plus ou moins d’une intrusion de ses créanciers dans ses champs de compétences. D’où, souvent, un sentiment de frustration des formateurs de terrain, doublé d’une impression diffuse de « manipulation » des uns par les autres. L’apprentissage me paraît être un contrat tripartite plus équilibré, où chacun apporte et reçoit du travail, des compétences et des services : le maître d’apprentissage, inscrit dans une problématique institutionnelle et territoriale de services spécialisés à rendre à une population donnée, transmet des compétences actualisées et guide l’apprenti dans les méandres organisationnels, professionnels et techniques de son espace de travail. Il a besoin, pour mener à bien son engagement contractuel auprès de l’apprenti, des compétences formatives de l’école. En contrepartie, il bénéficie de la force de travail de l’apprenti à un moindre coût. Le centre de formation s’inscrit concrètement dans les problématiques de terrain par un contrat clair de formation et peut légitimement et de sa place interroger les modes d’organisation et les compétences attendues pour un service donné.
• Du point de vue de l’apprenti, ce mode de formation a au moins trois avantages :
- D’abord il vient suppléer aux formations en cours d’emploi tombées en désuétude : s’il reste encore quelques contrats de qualification chez les moniteurs éducateurs, il est de plus en plus rare d’être embauché sous la grille indiciaire « éducateur avant sélection dans un centre de formation », de passer et réussir sa sélection, et de faire prendre en charge, sur le temps de travail, une formation de niveau IV ou III. Chez les assistants de service social, le cours d’emploi est même interdit puisque l’exercice de la profession exige le diplôme. Ce qui signifie que n’entrent dans la carrière d’AS que ceux ou celles dont l’entourage permet de vivre trois ans de formation sans salaire… ce qui réduit au départ les vocations. D’autre part, j’ai souvent remarqué que nombre de « camarades syndiqués » de ma génération, celle des années soixante-dix, se sont opposés à l’arrivée « d’aide éducateurs » dans le secteur social sous prétexte qu’ils n’étaient pas qualifiés, oubliant qu’ils avaient fait leurs premières armes en prévention ou en IME avec pour seul bagage quelques idées militantes et une conviction inébranlable dans leur capacité à changer le monde… L’apprentissage permet donc au moins de survivre en se formant.
- Ensuite l’apprentissage correspond au principe de base de la formation des travailleurs sociaux qu’est « l’alternance », l’articulation entre les savoirs, les savoir-faire et les savoir-être.
- Enfin, l’apprentissage, comme « moratoire indemnisé », va au-delà des formations initiales en alternance, dans la mesure où on n’apprend pas seulement un métier, on le choisit. En effet, le temps de l’apprentissage est celui de la familiarisation, de l’expérience, des essais, tentatives, approches d’un métier pour lequel on prend le temps d’apprécier si c’est bien celui qui nous convient. Avec l’apprentissage, on peut aussi choisir de ne pas faire carrière dans le social, ou dans l’accompagnement social.
Est-ce antinomique avec les processus de formations actuels du travail social ?
Effectivement à l’inverse de ce processus, les formules actuelles d’entrée en formation fonctionnent sur la sélection d’une population qui a les moyens financiers de se former en deux ou trois ans et qui, dès qu’elle est reçue en sélection, participe de l’évaluation du centre de formation : en effet, le critère déterminant, quelle que soit la région, d’évaluation des centres de formation est la réussite aux examens. Cette règle produit un effet pervers qui veut que lorsqu’un candidat est admis, son échec ou sa réussite soit celui de l’école. L’équipe pédagogique, de manière consciente ou pas, va « porter » le maximum d’inscrits au diplôme, quitte à soutenir l’étudiant et à étayer ses travaux plus que nécessaire, ce qui n’aide pas les équipes de terrain qui auront à intégrer ces candidats « supportés ». Combien de directeurs de centres, lorsqu’on leur demande une évaluation du service de formation rendu sur une année répondent : « 98 % d’admis chez les ES, 79 % chez les AS »…
Voyez-vous cependant une dérive possible avec ces contrats d’apprentissage ?
L’argumentation sur les enjeux de l’apprentissage est toute théorique dans la mesure où nous n’avons que peu expérimenté ce type de formation : elle ne tient pas compte de la stratégie des acteurs, de leur volonté de conserver, dans tout processus de changement, leur « zone d’incertitude et de pouvoir » comme dit l’autre. Elle suppose que chacun assume les rôles attendus par les autres partenaires. Rien n’empêche un « maître d’apprentissage » d’utiliser un apprenti éducateur à un travail de gardiennage, rien n’oblige un centre de formation à reconnaître la fonction du maître, rien n’oblige un apprenti à travailler. Il faudra donc suivre avec attention les premières expérimentations et mettre en place un mode d’évaluation pertinent.
Propos recueillis par Guy Benloulou
La punition corporelle est-elle maltraitante ou pédagogique ?Aveu dimpuissance ou faiblesse éducative pour certains, philosophie angéliste ou attitude masochiste pour dautres, la violence-zéro na pas aujourdhui beaucoup plus dadeptes que la violence totale. Cest encore la célèbre litote : « Une claque ou une fessée na jamais fait de mal à personne » qui satisfait le plus grand nombre de parents. Elle sert dargument tant aux tortionnaires nostalgiques quaux éducateurs les plus modernes. Quest-ce qui sépare les seconds des premiers ? Tout ! Oui, mais encore ? Explications |
Rappelons-nous dun passé pas si ancien : un jeune fuguait, était rattrapé. Le retour était loccasion dun comité daccueil des plus musclé : passage à tabac, crâne rasé et enfermement au cachot. Cétait le régime imposé par un certain nombre dinternats. Aujourdhui, et lactualité récente le démontre, ce nest plus toléré (et puis les jeunes se rasent le crâne sans avoir besoin de fuguer au préalable !). Pour autant, la culture de la claque pédagogique na pas perdu tous ses partisans, même si ceux-ci, un brin nostalgiques, nexercent leur prérogative que sous forme de dérapage ponctuel, parfois sanctionnés à juste raison.
À décharge, remarquons au préalable, que dans le secteur de lenfance délinquante ou souffrant de troubles du comportement et du caractère, la pression est souvent forte. La violence, lagressivité, les insultes sont fréquemment le quotidien de beaucoup de professionnels, qui subissent de plein fouet les confrontations avec les jeunes. On demande aux adultes un contrôle sur eux-mêmes qui peut se traduire par un épuisement nerveux ou une dérive ponctuelle (cela peut arriver à tout le monde de « craquer »).
Cette question doit pouvoir néanmoins être abordée en toute transparence, avec rigueur et sans chercher à défendre un quelconque corporatisme. Lhonneur dune profession consiste à balayer devant sa porte et à savoir revendiquer ses forces, mais aussi reconnaître certaines de ses faiblesses.
Une enquête, réalisée en 1985 (1) auprès des parents, permettait de dégager une majorité de 59 % utilisant la force comme pratique éducative (même si 72 % dentre eux considéraient quelle devait être exceptionnelle) : 25 % étaient adeptes de la gifle, 34 % de la fessée, 29,5 % reconnaissaient secouer lenfant et 11,3 % pratiquaient dautres moyens physiques. Ces attitudes nont rien duniverselles. La définition de ce qui est violent et de ce qui ne lest pas, varie avec le temps et lespace. Si on se limite à notre vieille Europe, on trouve tous les extrêmes.
Ainsi en France, une circulaire du ministère de lInstruction a interdit les châtiments corporels à lécole et ce dès 1887. Pour autant, la Cour de Cassation avait, dès février 1889, reconnu aux maîtres et éducateurs un droit de correction au même titre que celui attribué aux parents. Gifles et soufflets furent alors tolérés dans la mesure où il ny avait pas excès et que la santé de lenfant nétait pas compromise. Cet avis a été confirmé récemment. Un groupe de parents a porté plainte contre un instituteur qui tirait les cheveux et les oreilles de ses élèves et leur donnait des claques. La Cour dAppel de Caen a fini par leur donner tort en affirmant que les pratiques de lenseignant relevaient dune pédagogie normale, puisque les jeunes victimes ne souffraient pas dune incapacité de travail de plus de 8 jours.
Le Conseil de lEurope a proposé une recommandation qui « estime que les châtiments sont un mal quil faut au moins décourager dans une première phase pour finir par interdire. En effet, cest la conception même qui rend légitime le châtiment corporel dun enfant qui, dune part, ouvre la voie à tous les excès et dautre part, rend acceptables par des tiers les marques et les symptômes de ces châtiments » Et de proposer aux Etats membres « de revoir leur législation concernant le pouvoir de correction à légard des enfants dans le but de limiter, voire dinterdire les châtiments corporels, même si la violation de cette interdiction nentraîne pas nécessairement une sanction pénale » (2). À la suite de cette orientation, le Royaume-Uni a dû proscrire les châtiments corporels, pierre angulaire traditionnelle de ses établissements scolaires depuis des siècles. Mais, les meilleurs élèves en la matière sont sans conteste, les pays nordiques. Les royaumes de Suède, de Norvège et du Danemark, ont proclamé un texte de loi qui interdit la claque. Que le parent se rassure : la baffe quil donne à son chérubin ne risque pas de le mener en prison. Son interdiction marque seulement la réprobation générale qui entoure lutilisation de la violence dans la pratique éducative. Dialogue et négociation sont de mises. La sanction nest pas exclue, mais elle ne peut prendre la forme du moindre coup. « Frapper un enfant revient à lui enseigner un mode de comportement violent quil reproduira à lécole » (3) explique un père de famille, par ailleurs directeur de la maternelle de Stockholm. Doù vient cette sensibilité particulière à lenfant ? On évoque la crise de la natalité des années 70-80 qui donne à lenfant un caractère précieux et irremplaçable. On parle aussi de ces longs hivers contraignant les familles à cohabiter en harmonie dans des espaces limités En tout cas, cest là une tradition bien ancrée qui se manifeste aussi sous la forme de la réglementation de la vente des armes en plastique ou de jouets pouvant évoquer une guerre postérieure à 1914.
Un certain nombre de sophismes servent à donner bonne conscience et à justifier lutilisation de la violence en éducation.
On commencera par dire : « Une claque ou une fessée na jamais fait de mal à personne ». Latteinte peut être autant psychologique que physique. Labsence de traces ne suffit pas pour prétendre à labsence deffets négatifs. Certaines sanctions pouvant être traumatisantes. Ce dont il est question, cest bien dimpulser un modèle de relation humaine. Comment est-il possible de défendre auprès de lenfant dautres modes de gestion des conflits si ladulte nest pas capable de donner lexemple de ce quil prône ?
« Cest plus fort que moi, je ne peux pas me retenir. » Léducation consiste justement à apprendre à lenfant à gérer et à évacuer ses pulsions de violence et de haine, ses emportements et sa brutalité. Comment arriver à cet objectif, quand ladulte censé laccompagner dans cet apprentissage ny arrive pas lui-même ? Lenfant qui pique une colère mériterait un châtiment alors que celui qui lui répond par le même mouvement impulsif serait dans son bon droit ?
« Jai subi moi-même de tels actes étant jeune, non seulement je nen suis pas mort mais cela ma aidé. » On retrouve là un mécanisme qui commence à être bien connu et quon désigne sous le terme d« identification à lagresseur ». Ne pouvant ni condamner, ni culpabiliser des êtres proches et aimés qui sont souvent ses propres parents, on préfère les défendre en donnant raison à leurs attitudes et, ultime façon de les légitimer, en se comportant comme eux. Ainsi, de ce jeune adulte rencontré en prison qui réfléchissant à son enfance et aux raclées administrées par son père en concluait quil les avait bien méritées. Ce qui lui fut renvoyé, cest que raisonner ainsi le préparait alors potentiellement à reproduire sur ses propres enfants ce que lui-même avait vécu.
« Sil a pris une claque, cest quil le méritait bien » certains enfants savent parfaitement comment faire pour pousser les adultes qui les entourent à bout. Ils les titillent, les provoquent. On a limpression quils ne sont satisfaits que lorsquils « sen sont pris une ». Et cest vrai que parfois, lintérêt qui leur a été porté nest jamais passé que par la violence. Doù leur recherche quant à la reproduction de ce quils ont déjà connu. Certaines familles daccueil sont confrontées à ces réactions denfants maltraités qui semblent tout mettre en uvre pour reproduire dans leur nouveau lieu de vie la situation violente quils ont vécue. Il convient de savoir décoder ces situations de renouvellement de victimisation et de ne pas justement reproduire linacceptable.
« Cest de sa faute, si je lai frappé. » Reporter sur lautre la responsabilité de son propre acte est une démarche classique qui permet de se déculpabiliser. Quelles que soient les provocations de lenfant, cest celui qui a agi qui doit assumer et reconnaître sa faiblesse. Car lutilisation de la force constitue toujours un aveu dimpuissance, et montre que lon a échoué dans dautres moyens : ceux de la négociation, de lautorité, de la contrainte non-violente.
« A présent on ne peut plus rien leur dire aux gamins, ils peuvent faire ce quils veulent. » Labsence de violence ne signifie pas labsence de sanctions. Punir un enfant apparaît comme une obligation quand les règles ne sont pas respectées ou quune transgression a été commise. Pour autant, lutilisation de la violence nest pas incontournable. Il existe une multitude de privations que lon peut imposer à lenfant ou de gênes quon peut lui occasionner en réaction à un comportement que lon souhaite réprimer sans coups, ni brutalité.
Est-ce à dire, que la claque ou la fessée devront relever dorénavant de la correctionnelle ? Tout parent ou éducateur quil soit, ladulte reste un être humain, qui, à tout moment, peut ne pas contrôler une pulsion. Ce nest pas catastrophique dès lors quil sait reconnaître pour lui-même et pour lenfant ce dérapage pour ce quil est et quil arrête de se justifier en voulant se donner bonne conscience.
On peut proposer un code de bonne conduite applicable tant aux enfants quaux adultes. La violence apparaît légitime à trois conditions : 1) quelle intervienne dans une position dautodéfense 2) quelle soit proportionnée à lagression subie 3) quelle respecte un équilibre de force chez les protagonistes. À laune de ces critères pour autant quon les accepte la violence de ladulte à lencontre de lenfant nest à aucun moment légitime.
Jacques Trémintin
(1) Cf article fort intéressant de Jean Legal « Châtiments corporels ou intervention physique » Journal du Droit des Jeunes n° 185 mai 1999.
(2) Violences au sein de la famille, recommandations n° R (85) 4 adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de lEurope le 26 mars 1985.
« Ces enfants qui nous provoquent »
Témoignages et extraits littéraires sont largement utilisés par lauteur pour nous confronter à ces enfants que nous rencontrons si fréquemment dans lunivers de léducation spécialisée. Pédro, Gaëlle, Romain sont violents, destructeurs ou au contraire repliés sur eux. Le propre de ces révoltés et de ces agressifs est bien, malgré tous nos efforts de ne pas se couler dans le moule que nous leur avons préparé. « Quand la mentalisation fait défaut, lexpression pulsionnelle est directe, immédiate et sans préalable. Lagir semble constituer alors une forme de remémoration du chaos interne de la confusion, là ou langoisse est intense » explique Colette Fiatte citée p.103. Cest vrai quils nous énervent et quils nous font sortir de nos gonds ces enfants qui nous provoquent et semble jouir de leur pouvoir quand ils constatent notre déstabilisation. Quelle attitude, léducateur ou les parents peuvent-ils adopter ? Lauteur conseille plutôt de trouver le juste équilibre en utilisant à la fois la force (quil ne faut pas confondre avec la rigidité) et la souplesse (qui nest pas la faiblesse). Il sagit alors de rentrer en communication avec lenfant et de tenter de dépasser lapparence de ses passages à lacte pour comprendre ce quil recherche ou se quil cache. Il est essentiel de lui montrer quon laime malgré ses incartades, de lui imposer la discipline quil refuse tout en lamenant à laccepter ultérieurement.
J.T.
Nicolas Fabre, Fleurus, 1997, (193p - 59F)
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