Entretien d'explicitation
L'entretien
d'explicitation constitue un ensemble de techniques qui ont pour
but de favoriser, d'aider, de solliciter la mise en mots descriptive
de la manière dont une tâche a été réalisée.
L'entretien d'explicitation vise donc en priorité la verbalisation
de l'action, telle qu'elle est effectivement mise en oeuvre dans
l'exécution d'une tâche précise. Bien entendu
le terme d'action ne recouvre pas seulement des actions matérielles,
mais comprend aussi les actions mentales. Quelles sont les activités
concernées par la démarche de l'entretien d'explicitation
?
Vous pourriez y répondre vous-mêmes en réflechissant
à quelques questions.
- Avez vous
besoin de savoir comment un stagiaire s'y prend pour réaliser
un exercice ?
- Comment
une erreur, une performance peu efficace a-t-elle été
générée ?
- Avez vous
besoin de recueillir des informations suffisantes pour comprendre
comment cela c'est produit ? Et pas seulement repérer
que ce n'est pas la bonne réponse, ou pas le bon niveau
?
- Avez vous
été confronté au fait qu'il ne suffit pas
de prescrire la conduite à tenir pour aider un professionnel
à se perfectionner ?
- Avez vous
besoin de perfectionner l'animation des retours d'expérience
?
- Les synthèses
de fin de stage vous paraissent elles peu productives ?
Dans tous ces
cas il y anécessité d'un travail d'explicitation simplement
parce que, quand nous agissons, une part cruciale des savoirs pratiques
utilisés le sont de manière tacite, implicite. Ce
caractère implicite n'est d'ailleurs pas un défaut
qu'il serait souhaitable d'éviter. Il est inévitable
parce qu'inhérent au fonctionnement intellectuel : par construction,
dans nos interactions avec la réalité, donc dans la
réalisation des tâches, nous fabriquons continuellement
ce type de savoirs implicites par le seul fait d'agir. Le caractère
crucial de ces savoirs implicites tient précisément
à ce qu'ils sont développés à partir
de l'expérience. Ils sont de ce fait nécessairement
pertinent pour la compréhension de ce qui fait l'efficacité
d'une action. Ils sont ce qui fait qu'un professionnel est particulièrement
performant ou encore qu'il rencontre, sans comprendre pourquoi,
des difficultés ou des limitations. Aider les professionnels
à prendre conscience de ces savoirs implicites peut être
une des clefs de leur perfectionnement, mais permet aussi une meilleure
exploitation des situations de formation pratique. La prise de conscience
passe par la mise en mots, par la verbalisation disent les chercheurs,
de ces savoirs implicites. C'est le but des techniques d'aide à
l'explicitation. Et, s'il y a besoin de techniques, et par conséquent
d'apprentissage de ces techniques, c'est que la mise en mots de
l'implicite se heurte à plusieurs obstacles. On peut en préciser
trois :
- 1)
mettre en mots l'implicite, décrire le détail
de sa propre action n'est pas habituel ; pour le faire il est
nécessaire d'adopter une nouvelle attitude. Cela suppose
une aide dans la mesure où on ne sait pas comment s'y
prendre tout seul.
- 2) accéder à l'information implicite
se heurte au fait que cette information n'est pas immédiatement
disponible. Il s'agit de savoirs en acte. Un savoir en acte
est un savoir que possède le sujet, ses actions en témoignent
mais ce savoir n'est pas conceptualisé. Il n'a jamais
été verbalisé et de ce fait il est non
conscient. Une preuve indirecte de l'existence de ces savoirs
est que celui là même qui les met en oeuvre est
souvent convaincu de ne pas les posséder (c'est le propre
de l'implicite ... car sinon: "... je saurais que je sais
!").
- 3) le troisième obstacle est que les aides proposées
par les formateurs, animateurs ou tuteurs sont souvent inefficaces
: ce qui est efficient est l'inverse de ce qu'on aurait envie
de faire en premier ! L'intention du formateur (comprendre)
est juste, les moyens (demande d'explication) sont souvent inappropriés
car pour viser l'implicite les outils efficaces ont caractère
indirect.
Précisons
que l'on peut avoir besoin d'acquérir et de perfectionner
une technique d'entretien sans avoir à mener un entretien
en tant que tel. D'une part, ces techniques s'utilisent très
bien dans les groupes et pas seulement avec un interlocuteur unique.
D'autre part, elles peuvent permettre de formuler la question pertinente
qui va faire que l'information recherchée émerge,
sans passer par un dialogue de dix ou vingt minutes. Une question,
c'est comme un aiguillage. Sa formulation sollicite des réponses
extrêmement différentes, certaines correspondent bien
à l'information recherchée, d'autres aboutissent à
des réponses dont on ne sait que faire, et d'autres encore
créent le silence et bloquent la communication.Des animateurs,
des formateurs, des enseignants confrontés à ces types
de situations pourraient tirer parti de cette démarche d'aide
à l'explicitation. Ce ne sont pas les seuls. D'autres fonctions
nécessitent de connaître l'existant à partir
des témoignages verbaux, comme l'audit ou le conseil, le
management.Plusieurs des thèmes abordés sont déjà
présents dans la réflexion des formateurs, des animateurs,
des consultants. L'originalité de l'entretien d'explicitation
est de proposer des outils pour réaliser concrètement
ces objectifs. L'entretien d'explicitation n'est pas un "super
entretien" qui prétendrait se substituer à d'autres,
il est une technique originale, conséquente avec des objectifs
particuliers qui ont été peu pris en compte jusqu'à
présent de manière systématique.
Pierre Vermersch
www.expliciter.net/